Je suis arrivé sur le parvis des droits de l’homme à 18heures. J’ai vu des
personnes déjà présentes, j’ai vu les dessins et les unes de Charlie hebdo
affichées sur les grilles, des bougies allumées, des phrases manuscrites sur
des papiers pour manifester le soutien aux douze victimes. J’ai vu des gens
parler de ce terrible 7 janvier, j’ai vu des personnes de confession musulmane
attentive et qui avaient à cœur d’expliquer que tout ceci ne correspondait pas
à leur religion. J’ai vu du respect, du calme et de la dignité.
Toute la journée, j’avais vu ces images violentes qui passent en boucle sur
nos écrans.
J’ai pensé à ces deux imbéciles
cagoulés, à leur violence, leur bêtise, leur irrespect de la vie, leur
méconnaissance de leur religion. Comment peut on porter autant de haine ?
J’ai pensé à Cabu car comme beaucoup de gens de ma génération, j’ai
découvert ses dessins dés mon plus jeune âge dans le club Dorothée. J’ai retrouvé ses caricatures plus tard, dans
des magazines et bien sur, sur les unes de Charlie Hebdo. Je m’en suis voulu de ne retenir que son nom
et j’ai pensé aux 11 autres victimes. J’ai pensé à l’énergie qu’ils avaient
déployés pour créer et entretenir leur propre forme d’expression. J’ai pensé à leurs convictions et à leur
courage.
J’ai vu le parvis des droits de l’homme se remplir, j’ai vu mes collègues
avec des gilets jaunes qui n’avaient pas renoncé à se démarquer pour manifester
notre mécontentement et notre désaccord face à certaines décisions de la
Mairie. J’ai pensé que ce n’était pas le jour pour ce genre de manifestation,
j’ai pensé dans un premier temps, ne pas enfiler mon gilet jaune et puis j’ai
pensé à Mme le Maire qui avait maintenue une cérémonie de vœux dans ce climat
tendu un jour de deuil national. J’ai vu des drapeaux non déployés portés par
des représentants des syndicats venus
eux aussi dénoncer des décisions nos élus.
J’ai apprécié cette détermination respectueuse et j’ai compris que tout le
monde avait conscience que notre manifestation ne pouvait plus être celles que
nous avions imaginée ; bruyante et festive. J’ai repensé à la
détermination et au courage de Charlie Hebdo, j’ai assumé, j’ai enfilé mon
gilet jaune.
J’ai vu les romanais entrer un par un (Vigipirate oblige) dans le théâtre
des Cordeliers. J’ai vu Mme le Maire et
l’équipe municipale embrasser certains,
saluer d’autres. J’ai vu des
personnes décidées à ne pas pénétrer dans le bâtiment pour ne pas participer à cette cérémonie. J’ai parlé à des gens qui ont essayé de me
convaincre de ne pas entrer.
J’ai pensé suivre leur conseil. J’ai pensé boycotter les vœux de Mme le
Maire. Mais comment pourrais je
avoir un avis personnel sur son discours
s’il m’est rapporté par des gens qui ont la même sensibilité que la
mienne ? Ce serait « doublement pas » objectif.
Je suis courageux, je suis entré avec mon gilet jaune, je ne suis pas
courageux, j’ai attendu que l’équipe municipale ait déserté le hall d’entrée
pour ne pas avoir à les saluer.
J’ai vu une salle comble, une scène avec un pupitre, un piano ???? Elton
John viendrait il nous faire le « Candel in the wind » ? J’ai vu
en arrière plan de la scène le dernier dessin de Charb projeté en grand et en
face, un buffet pour la restauration d’après vœux. Que de confusion !!! J’ai vu trois amis qui eux aussi avaient
gardé leur gilet. Je les ai rejoins au milieu de la foule. En passant au milieu
de l’assemblée, j’ai vu des regards dédaigneux, j’ai entendu des moqueries,
j’ai croisé une personne ayant refusé de se déplacer pour me laisser passer,
j’ai contourné, j’ai encaisser, j’ai retrouvé mes trois amis, j’ai constaté que
l’un d’eux était « touché » car il estimait avoir été agressé
injustement par un policier car il portait ce fameux gilet symbole de
résistance.
Dans un premier temps, j’en ai voulu à
ces gens et j’ai palpé ce que pouvait être la vie des personnes
« différentes » dans une société normée.
Cet échantillon à taille romanaise était suffisant.
J’ai vu entrer l’équipe municipale sur scène, j’ai vu la majorité de
l’assistance applaudir, j’ai vu les gens placés au fond de la salle s’abstenir…
J’ai pensé : Ouf ! Nous ne sommes pas seuls. Ce sentiment peut paraître bien idiot mais
pour moi, à cet instant, il a été réconfortant. Et puis j’ai vu cet homme s’approcher
de nous. Son blouson marron, une cinquantaine d’année. Je l’ai entendu frapper
fort dans ses mains pour manifester le soutien à Mme le Maire qui venait de
faire son apparition sur scène. J’ai vu son sourire et ses regards en notre
direction.
J’ai pensé à son attitude, j’ai estimé qu’elle était provocante. J’ai pensé à la mienne, silencieuse, mais
également provocante.
Ses armes de désaccord envers moi
étaient son regard et ses applaudissements démesurément exagérés. Mon
arme de désaccord envers lui était… Mon gilet jaune.
Blouson marron/ Gilet jaune : Match nul (dans tous les sens du terme).
J’ai vu et entendu Mme le Maire commencer son discours en rendant hommage
aux victimes de Charlie Hebdo. Je l’ai entendu citer le nom de chaque victime,
j’ai apprécié qu’elle parle aussi des
autres salariés du journal, de l’agent d’entretien, du policier, de l’élu
Clermontois. Je n’ai pas compris quand
elle est entrée plus intimement dans des détails concernant le sobriquet donné
à un journaliste par sa grand-mère. Peut
être est elle proche de la famille ? En tout cas j’ai pensé que ce n’était
pas par affection pour le journal car je n’imagine pas notre élue comme étant
une fervente lectrice de Charlie Hebdo. L’hommage était fait et c’est
finalement l’essentiel.
Ensuite, j’ai vu et entendu Mme le Maire commencer ses vœux par une
confrontation. Sans round d’observation, elle a proclamé son courage et sa
détermination envers une partie de la population romanaise en désaccord avec
son projet. Ce jour là, juste après avoir rendu hommage à des résistants et
juste après que tous les responsables politiques de tous les bords aient appelé
à l’unité !
Face aux personnes acquises à sa cause et sous le regard médusé de mes
collègues je l’ai entendu mentir sur des entrevues qu’elle aurait eues avec
l’ensemble des responsables d’associations d’éducations populaires… « à
six reprises ». Je fais parti d’une de ces structures, Je connais le
contenu de ces rares entrevues si elle nous avait rencontré six fois, je
l’aurais peut être vu au moins une… Je pense que ce n’est pas du dialogue,
c’est une demande d’application de décision sans concertation.
Je l’ai entendu manipuler les chiffres et
expliquer aux romanais qu’elle faisait preuve de courage. Je l’ai
entendue parler de ce qu’elle n’avait pas, je ne l’ai pas entendu parler de ce
qu’elle avait. Moins 800 000€ de l’Etat
pour son budget à 45 millions !
Simple réponse :
Les Romanais connaissent le chiffre
800 000 (il est martelé par Mme le Maire) mais moins le chiffre 45 !
Elle n’a pas dit que sur ces 45 millions, moins d’un million est destiné au fonctionnement des structures d’éducation populaire employant environ 70
personnes (Salariés et intervenants). Oui on parle de 70 emplois qui sont
menacés. Et je pense qu’on pourrait me
traiter de menteur en disant qu’ils sont si nombreux et si menacés. Je suis
élus dans le CA d’une structure employant
6 personnes, sans compter les intervenants (Une directrice, une
comptable, 4 animatrices, et les intervenants des diverses activités) et avec
les -40% de baisse confirmée par Mme le Maire pour ses « VŒUX », notre structure devra fermer dans 5
mois. Venez au mois de Juin me traiter
de menteur et je serai heureux de vous l’entendre dire. Cela signifiera qu’on a
préservé 6 emplois. D’ici là, lors de notre prochain conseil
d’administration, nous lancerons les procédures de licenciement. « Bonne
Année à tous »
J’ai vu et compris que des romanais applaudissaient lorsque Mme le Maire
disait « Je prends mes responsabilités, je fais des économies ».
Etant donné le discours, il est vrai qu’elle représentait la force, la
détermination le bon sens.
Mais voilà, pour les gilets jaunes
qui connaissent leur dossier, elle a représenté la politique qui fait que les citoyens
n’y croient plus… La manipulation, les
secrets et le mensonge.
J’ai vu des personnes qui connaissent ces enjeux retenir leur colère face à
ces propos ! Mais, j’ai entendu des gens ne pouvant se contenir, balancer
un « houuu » et d’autres siffler brièvement. J’ai estimé qu’il y
avait de la retenue dans ces manifestations mais j’aurais préféré que nous puissions
rester silencieux malgré cette attaque.
Je me suis retenu, les collègues autour de moi également, il fallait
rester digne et surtout ne pas tomber dans la provocation. Notre combat pourrait continuer plus tard.
Dans cette confusion, entre applaudissements et huée, j’ai entendue la voix
d’une femme qui hurlait. J’ai pensé qu’il s’agissait de quelqu’un ayant compris
que la mort de l’éducation populaire venait d’être annoncée et que c’était
insoutenable pour elle. J’ai vu une
altercation dans l’escalier, j’ai vu la police municipale intervenir, je l’ai
vue attraper « un gilet jaune » et le trainer en dehors de la salle.
Encore de la violence… J’ai vu une
équipe municipale ne pas broncher et ; était ce nerveux ou pour garder de
la consistance, mais j’ai vu Mme le Maire regarder la scène sans broncher elle non plus, et avec le
sourire. Le même sourire qui avait
accueilli les manifestants lors de son dernier conseil municipal. C’est peut
être une façon pour elle de se protéger, il n’empêche que pour la deuxième
fois, ça m’a choqué. Il semblerait que ce soit un Romanais qui soit jeté
dehors…
Une fois le calme revenu, j’ai décidé de changer de place car le regard et
les commentaires de mon fameux « blouson marron » commençaient à
réellement me déranger. J’ai eu comme la
sensation que cet endroit était un guet-apens.
J’ai vu madame le Maire reprendre son discours. Il était question de
sécurité, caméra de surveillance, routes à double sens, Romanais, n’ayez plus
peur, voyez comment la police sait agir…
Mon manque d’objectivité m’a certainement empêché d’entendre des mots prônant
les valeurs. Des mots qui feraient que
les gens n’aient pas « peur » de vivre ensemble.
Mais pour moi, les seules valeurs
qui resteront de son discours sont : -40 et -800 000. Ses armes
contre l’éducation populaire.
J’ai préféré quitter la salle… C’était trop…
En sortant, j’ai vu une jeune fille en pleurs, entourés par des personnes
qui essayaient de lui apporter du réconfort.
J’ai pensé que c’était celle que j’avais entendu hurler dans la salle.
Que d’émotions pour cette journée particulière.
Dehors sur le parvis des droits de l’Homme, un groupe d’amis était là. Eux
aussi réconfortaient un homme apparemment choqué et perdu… La trace de sang sur
sa pommette m’a tout de suite fait comprendre qu’il s’agissait de la personne
qui avait été expulsé de la salle suite à l’altercation.
Il avait cru, comme moi, que les cris de cette jeune fille, résultaient de
l’annonce de Madame le Maire. Lui tout
comme moi avions tout faux ! Cette jeune fille n’avait pas supporté les
sifflets à l’encontre de Mme le Maire.
Le garçon accompagnant la demoiselle lui a alors décoché un coup de
poing. En lui disant, « c’est à
cause de types comme toi qu’elle pleure ».
Ce qui m’a alors choqué, c’est lorsque les témoins de cette scène m’ont
expliqué que l’agresseur était toujours à l’intérieur. Celui que les policiers
avaient choisi de trainer dehors était donc l’agressé. Le gilet jaune, le
fauteur de trouble, le résistant, celui qui ne pense pas pareil, l’étranger.
Quant à lui il ne cessait de répéter :
« Je ne sais pas ce qu’il m’arrive, je ne suis pas violent, pourquoi
ça m’est tombé dessus ? »
J’ai vu, peu de temps après, sortir un adolescent d’environ 17 ans. Il est
en pleurs. Sa maman est derrière lui, elle le réconforte et nous dit :
« Pour lui c’est trop violent. Les paroles et les actes. » Ils
portent tous les deux un gilet jaune…
Quelle journée. Je pense qu’il est
temps de s’en aller. Sur ce parvis des Droits de l’Homme nous ne pouvons plus
rester. L’émotion est forte, les évènements se sont enchainés et la fatigue se
fait sentir.
J’ai vu mon ami, que la police municipale a clairement ciblé comme fauteur
de trouble et de l’ordre public. Lorsque je rentre pour le récupérer, il est en
discussion avec le policier qui l’a suivi à la trace toute la soirée…
Il lui expose son mécontentement car il estime
que cette « persécution » est provocante. Je pense que la discussion
n’est pas possible, ni à cet instant ni avec cet interlocuteur et j’insiste
auprès de mon collègue pour lui proposer de stopper le dialogue et de partir…
Le policier nous accompagne jusquà la sortie, il a quand même le toupet de nous
rétorquer… « Allez ! Bonne soirée ». Il a refermé la porte derrière nous. Nous sommes dehors…
Désolé, nous n’avons pas été violents !
Le contraire aurait fait les affaires de qui ?
Alexandre Raia