mardi 13 janvier 2015

Cérémonie des voeux 8 janvier "j'ai vu, j'ai pensé"


Je suis arrivé sur le parvis des droits de l’homme à 18heures. J’ai vu des personnes déjà présentes, j’ai vu les dessins et les unes de Charlie hebdo affichées sur les grilles, des bougies allumées, des phrases manuscrites sur des papiers pour manifester le soutien aux douze victimes. J’ai vu des gens parler de ce terrible 7 janvier, j’ai vu des personnes de confession musulmane attentive et qui avaient à cœur d’expliquer que tout ceci ne correspondait pas à leur religion. J’ai vu du respect, du calme et de la dignité.

Toute la journée, j’avais vu ces images violentes qui passent en boucle sur nos écrans. 
J’ai pensé à ces deux imbéciles  cagoulés, à leur violence, leur bêtise, leur irrespect de la vie, leur méconnaissance de leur religion. Comment peut on porter autant de haine ?

J’ai pensé à Cabu car comme beaucoup de gens de ma génération, j’ai découvert ses dessins dés mon plus jeune âge dans le club Dorothée.  J’ai retrouvé ses caricatures plus tard, dans des magazines et bien sur, sur les unes de Charlie Hebdo.  Je m’en suis voulu de ne retenir que son nom et j’ai pensé aux 11 autres victimes. J’ai pensé à l’énergie qu’ils avaient déployés pour créer et entretenir leur propre forme d’expression.  J’ai pensé à leurs convictions et à leur courage.

J’ai vu le parvis des droits de l’homme se remplir, j’ai vu mes collègues avec des gilets jaunes qui n’avaient pas renoncé à se démarquer pour manifester notre mécontentement et notre désaccord face à certaines décisions de la Mairie. J’ai pensé que ce n’était pas le jour pour ce genre de manifestation, j’ai pensé dans un premier temps, ne pas enfiler mon gilet jaune et puis j’ai pensé à Mme le Maire qui avait maintenue une cérémonie de vœux dans ce climat tendu un jour de deuil national. J’ai vu des drapeaux non déployés portés par des représentants des syndicats  venus eux aussi dénoncer des décisions nos élus. 

J’ai apprécié cette détermination respectueuse et j’ai compris que tout le monde avait conscience que notre manifestation ne pouvait plus être celles que nous avions imaginée ; bruyante et festive. J’ai repensé à la détermination et au courage de Charlie Hebdo, j’ai assumé, j’ai enfilé mon gilet jaune.

J’ai vu les romanais entrer un par un (Vigipirate oblige) dans le théâtre des Cordeliers. J’ai vu  Mme le Maire et l’équipe municipale embrasser certains,  saluer d’autres.  J’ai vu des personnes décidées à ne pas pénétrer dans le bâtiment pour  ne pas participer à cette cérémonie.  J’ai parlé à des gens qui ont essayé de me convaincre de ne pas entrer.

J’ai pensé suivre leur conseil. J’ai pensé boycotter les vœux de Mme le Maire.  Mais comment pourrais je avoir  un avis personnel sur son discours s’il m’est rapporté par des gens qui ont la même sensibilité que la mienne ? Ce serait « doublement pas » objectif. 

Je suis courageux, je suis entré avec mon gilet jaune, je ne suis pas courageux, j’ai attendu que l’équipe municipale ait déserté le hall d’entrée pour ne pas avoir à les saluer.

J’ai vu une salle comble, une scène avec un pupitre, un piano ???? Elton John viendrait il nous faire le « Candel in the wind » ? J’ai vu en arrière plan de la scène le dernier dessin de Charb projeté en grand et en face, un buffet pour la restauration d’après vœux. Que de confusion !!!  J’ai vu trois amis qui eux aussi avaient gardé leur gilet. Je les ai rejoins au milieu de la foule. En passant au milieu de l’assemblée, j’ai vu des regards dédaigneux, j’ai entendu des moqueries, j’ai croisé une personne ayant refusé de se déplacer pour me laisser passer, j’ai contourné, j’ai encaisser, j’ai retrouvé mes trois amis, j’ai constaté que l’un d’eux était « touché » car il estimait avoir été agressé injustement par un policier car il portait ce fameux gilet symbole de résistance.

Dans un premier temps, j’en ai voulu à  ces gens et j’ai palpé ce que pouvait être la vie des personnes « différentes » dans une société normée. 
Cet échantillon à taille romanaise était suffisant.

J’ai vu entrer l’équipe municipale sur scène, j’ai vu la majorité de l’assistance applaudir, j’ai vu les gens placés au fond de la salle s’abstenir… J’ai pensé : Ouf ! Nous ne sommes pas seuls.  Ce sentiment peut paraître bien idiot mais pour moi, à cet instant, il a été réconfortant. Et puis j’ai vu cet homme s’approcher de nous. Son blouson marron, une cinquantaine d’année. Je l’ai entendu frapper fort dans ses mains pour manifester le soutien à Mme le Maire qui venait de faire son apparition sur scène. J’ai vu son sourire et ses regards en notre direction. 

J’ai pensé à son attitude, j’ai estimé qu’elle était provocante.  J’ai pensé à la mienne, silencieuse, mais également provocante. 

Ses armes de désaccord envers moi  étaient son regard et ses applaudissements démesurément exagérés. Mon arme de désaccord envers lui était… Mon gilet jaune.
Blouson marron/ Gilet jaune : Match nul (dans tous les sens du terme).

J’ai vu et entendu Mme le Maire commencer son discours en rendant hommage aux victimes de Charlie Hebdo. Je l’ai entendu citer le nom de chaque victime, j’ai apprécié qu’elle parle aussi  des autres salariés du journal, de l’agent d’entretien, du policier, de l’élu Clermontois.  Je n’ai pas compris quand elle est entrée plus intimement dans des détails concernant le sobriquet donné à un journaliste par sa grand-mère.  Peut être est elle proche de la famille ? En tout cas j’ai pensé que ce n’était pas par affection pour le journal car je n’imagine pas notre élue comme étant une fervente lectrice de Charlie Hebdo. L’hommage était fait et c’est finalement l’essentiel.

Ensuite, j’ai  vu et entendu  Mme le Maire commencer ses vœux par une confrontation. Sans round d’observation, elle a proclamé son courage et sa détermination envers une partie de la population romanaise en désaccord avec son projet. Ce jour là, juste après avoir rendu hommage à des résistants et juste après que tous les responsables politiques de tous les bords aient appelé à l’unité ! 

Face aux personnes acquises à sa cause et sous le regard médusé de mes collègues je l’ai entendu mentir sur des entrevues qu’elle aurait eues avec l’ensemble des responsables d’associations d’éducations populaires… « à six reprises ». Je fais parti d’une de ces structures, Je connais le contenu de ces rares entrevues si elle nous avait rencontré six fois, je l’aurais peut être vu au moins une… Je pense que ce n’est pas du dialogue, c’est une demande d’application de décision sans concertation. 

Je l’ai entendu manipuler les chiffres et  expliquer aux romanais qu’elle faisait preuve de courage. Je l’ai entendue parler de ce qu’elle n’avait pas, je ne l’ai pas entendu parler de ce qu’elle avait.  Moins 800 000€ de l’Etat pour son budget à 45 millions !
Simple réponse :
 Les Romanais connaissent le chiffre 800 000 (il est martelé par Mme le Maire) mais moins le chiffre 45 ! Elle n’a pas dit que sur ces 45 millions,  moins d’un million est destiné  au fonctionnement des structures  d’éducation populaire employant environ 70 personnes (Salariés et intervenants). Oui on parle de 70 emplois qui sont menacés.  Et je pense qu’on pourrait me traiter de menteur en disant qu’ils sont si nombreux et si menacés. Je suis élus dans le CA d’une structure employant  6 personnes, sans compter les intervenants (Une directrice, une comptable, 4 animatrices, et les intervenants des diverses activités) et avec les -40% de baisse confirmée par Mme le Maire pour ses « VŒUX »,  notre structure devra fermer dans 5 mois.  Venez au mois de Juin me traiter de menteur et je serai heureux de vous l’entendre dire. Cela signifiera qu’on a  préservé 6 emplois.  D’ici là, lors de notre prochain conseil d’administration, nous lancerons les procédures de licenciement. « Bonne Année à tous »

J’ai vu et compris que des romanais applaudissaient lorsque Mme le Maire disait « Je prends mes responsabilités, je fais des économies ». Etant donné le discours, il est vrai qu’elle représentait la force, la détermination le bon sens.

 Mais voilà, pour les gilets jaunes qui connaissent leur dossier, elle a représenté la politique qui fait que les citoyens n’y croient plus…  La manipulation, les secrets et le mensonge.

J’ai vu des personnes qui connaissent ces enjeux retenir leur colère face à ces propos ! Mais, j’ai entendu des gens ne pouvant se contenir, balancer un « houuu » et d’autres siffler brièvement. J’ai estimé qu’il y avait de la retenue dans ces manifestations mais j’aurais préféré que nous puissions rester silencieux malgré cette attaque.  Je me suis retenu, les collègues autour de moi également, il fallait rester digne et surtout ne pas tomber dans la provocation.  Notre combat pourrait continuer plus tard.

Dans cette confusion, entre applaudissements et huée, j’ai entendue la voix d’une femme qui hurlait. J’ai pensé qu’il s’agissait de quelqu’un ayant compris que la mort de l’éducation populaire venait d’être annoncée et que c’était insoutenable pour elle.  J’ai vu une altercation dans l’escalier, j’ai vu la police municipale intervenir, je l’ai vue attraper « un gilet jaune » et le trainer en dehors de la salle. Encore de la violence…  J’ai vu une équipe municipale ne pas broncher et ; était ce nerveux ou pour garder de la consistance, mais j’ai vu Mme le Maire regarder la scène  sans broncher elle non plus, et avec le sourire.  Le même sourire qui avait accueilli les manifestants lors de son dernier conseil municipal. C’est peut être une façon pour elle de se protéger, il n’empêche que pour la deuxième fois, ça m’a choqué. Il semblerait que ce soit un Romanais qui soit jeté dehors…

Une fois le calme revenu, j’ai décidé de changer de place car le regard et les commentaires de mon fameux « blouson marron » commençaient à réellement me déranger.  J’ai eu comme la sensation que cet endroit était un guet-apens.

J’ai vu madame le Maire reprendre son discours. Il était question de sécurité, caméra de surveillance, routes à double sens, Romanais, n’ayez plus peur, voyez comment  la police sait agir…
Mon manque d’objectivité m’a certainement empêché d’entendre des mots prônant les valeurs.  Des mots qui feraient que les gens n’aient pas « peur » de vivre ensemble.  
Mais pour moi,  les seules valeurs qui resteront de son discours sont : -40 et -800 000. Ses armes contre l’éducation populaire.

J’ai préféré quitter la salle… C’était trop…

En sortant, j’ai vu une jeune fille en pleurs, entourés par des personnes qui essayaient de lui apporter du réconfort.  J’ai pensé que c’était celle que j’avais entendu hurler dans la salle. Que d’émotions pour cette journée particulière. 

Dehors sur le parvis des droits de l’Homme, un groupe d’amis était là. Eux aussi réconfortaient un homme apparemment choqué et perdu… La trace de sang sur sa pommette m’a tout de suite fait comprendre qu’il s’agissait de la personne qui avait été expulsé de la salle suite à l’altercation. 

Il avait cru, comme moi, que les cris de cette jeune fille, résultaient de l’annonce de Madame le Maire.  Lui tout comme moi avions tout faux ! Cette jeune fille n’avait pas supporté les sifflets à l’encontre de Mme le Maire.

Le garçon accompagnant la demoiselle lui a alors décoché un coup de poing.  En lui disant, « c’est à cause de types comme toi qu’elle pleure ».

Ce qui m’a alors choqué, c’est lorsque les témoins de cette scène m’ont expliqué que l’agresseur était toujours à l’intérieur. Celui que les policiers avaient choisi de trainer dehors était donc l’agressé. Le gilet jaune, le fauteur de trouble, le résistant, celui qui ne pense pas pareil, l’étranger. Quant à lui il ne cessait de répéter :

« Je ne sais pas ce qu’il m’arrive, je ne suis pas violent, pourquoi ça m’est tombé dessus ? »

J’ai vu, peu de temps après, sortir un adolescent d’environ 17 ans. Il est en pleurs. Sa maman est derrière lui, elle le réconforte et nous dit :
« Pour lui c’est trop violent. Les paroles et les actes. » Ils portent tous les deux un gilet jaune…

Quelle journée.  Je pense qu’il est temps de s’en aller. Sur ce parvis des Droits de l’Homme nous ne pouvons plus rester. L’émotion est forte, les évènements se sont enchainés et la fatigue se fait sentir.
J’ai vu mon ami, que la police municipale a clairement ciblé comme fauteur de trouble et de l’ordre public. Lorsque je rentre pour le récupérer, il est en discussion avec le policier qui l’a suivi à la trace toute la soirée…  

 Il lui expose son mécontentement car il estime que cette « persécution » est provocante. Je pense que la discussion n’est pas possible, ni à cet instant ni avec cet interlocuteur et j’insiste auprès de mon collègue pour lui proposer de stopper le dialogue et de partir… Le policier nous accompagne jusquà la sortie, il a quand même le toupet de nous rétorquer… « Allez ! Bonne soirée ».  Il a refermé la porte derrière nous.  Nous sommes dehors… 
Désolé, nous n’avons pas été violents !

Le contraire aurait fait les affaires de qui ?

Alexandre Raia